Don d’organes : vers la
nationalisation des corps ?
Faute de volonté contraire, informatiquement
enregistrée, chaque citoyen sera considéré comme donneur.
Professeur
honoraire
C’est ce qui
résulte de l’application d’un amendement de la loi Santé, adopté en 2015 :
« Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne majeure
n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement. Ce refus
est exprimé par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet
effet. Il est révocable à tout moment. Les proches du défunt sont informés des
prélèvements envisagés et de la finalité de ces prélèvements. »
Officiellement,
cet amendement vise à faciliter les dons d’organes. Auparavant, à défaut d’un
document précisant le choix de la personne concernée, le corps médical était
dans l’obligation de demander l’avis des familles. Désormais, ce sera plus
simple : le médecin pourra accéder en ligne au registre national des refus
et la consultation des proches n’aura plus le même caractère juridique.
L’amendement
se fonde sur un constat : « Dans la majorité des cas, [l’]
opposition est exprimée par une famille qui, faute d’information sur le choix
du défunt, refuse, par précaution, le prélèvement d’organes. » Il
convient donc d’« individualiser pleinement le choix du don
d’organes », de « renforcer le principe du consentement
présumé au don » et de « faire reposer le droit d’opposition
de chacun au prélèvement de ses organes, uniquement par l’inscription sur le
Registre national du refus, prévu à cet effet ».
Les
intentions affichées : pallier la pénurie des dons d’organes, pour sauver
plus de vies. Pourquoi ne pas s’en réjouir ? Mais, à y regarder de plus
près, on s’aperçoit que la nouvelle réglementation pose des problèmes d’ordre
éthique et philosophique.
D’abord,
tous les Français deviennent des donneurs par défaut : « Qui ne dit
mot consent », assure l’adage. Pourtant, il eût semblé plus logique,
puisqu’on modifiait la loi, de prendre des dispositions pour inciter à exprimer
à l’avance son consentement plutôt que son refus.
Ensuite,
pourquoi exclure les proches du processus de dialogue dans la prise de
décision ? Parce que, selon les rapporteurs, « la décision demandée
à la famille vient ajouter une douleur supplémentaire dans un moment difficile,
et bien souvent, plus tard, le regret d’avoir exprimé un refus » :
quelle compassion ! En conséquence, le dialogue se réduit à « un
dialogue d’information ».
D’aucuns
diront que, si ce n’est pas un progrès, c’est un moindre mal qui permet de
procéder à des greffes plus nombreuses. Peut-être. Mais il reste un dernier
problème, beaucoup plus grave.
Cette
nouvelle législation nous entraîne un peu plus sur la voie d’une conception
étatiste du prélèvement d’organes.
On pourrait même parler, en empruntant la
formule d’un philosophe, d’une « nationalisation des corps ». Une
fois atteint l’état de coma avancé, le corps n’appartient plus à l’individu,
encore moins à sa famille : il revient à la puissance publique. Ce
qui était, au départ, un don généreux tend à devenir une obligation imposée au
nom de l’intérêt général. On peut, certes, s’opposer à un prélèvement : on
risque d’être montré du doigt et tenu pour moralement responsable de la mort
d’autrui.
Une telle
perspective fait peur. Dans les mentalités, le corps deviendrait un objet dont
certains éléments peuvent être recyclés. C’est déjà un peu le cas avec les
« bébés-médicaments », appelés aujourd’hui « bébés du double
espoir » pour minorer le reproche d’instrumentalisation de l’enfant à
naître et justifier une pratique consistant en la sélection d’un embryon et la
mise en route d’un enfant conçu comme un donneur potentiel.
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