Avons-nous vraiment conscience de l’organisation de notre « palais des saveurs », notre bouche ?
Certainement pas, car nous mangeons tellement vite, tellement mal, que
nous perdons les goûts des aliments qui sont à notre disposition. Nous
ne faisons pas mieux que les animaux. Eux ont de la salive, mais elle ne
contient pas les enzymes du goût. Ils ne prennent pas le temps de goûter les
aliments : ils bouffent.
Nous faisons souvent comme eux. Trois coups de dents et nous avalons.
Apprenons à mieux connaître cette petite zone de notre corps, le carrefour dit
aéro-pharyngé, qui nous permet de respirer, goûter, manger, parler, siffler,
chanter…
C’est une merveilleuse mécanique, si douloureusement détraquée quand la salive
manque, quand les aliments n’ont plus de goût, quand les dents tombent, quand
l’air passe mal, quand les aliments font fausse route, quand ils ne veulent pas
descendre vers l’œsophage et l’estomac.
Imaginez deux secondes que vous n’avez plus de langue :
vous ne pouvez ni parler, ni manger et ce que vous mettez dans votre bouche n’a
pratiquement aucun goût, sans parler de vos difficultés à avaler.
Imaginez deux secondes que vous n’avez presque plus de salive…
Vous la chercherez sans cesse et les boissons ne vous suffiront pas. Les
patients atteints de cancer ORL sont traités par les rayons qui protègent mal
les glandes salivaires, d’où des hyposialies (peu de salive) ou même des
asialies (pas de salive) très handicapantes pour parler, manger, goûter les
aliments, bref, se nourrir correctement. Il y a de quoi perdre la joie de
vivre !
Votre
Palais des saveurs est magnifique
Les papilles gustatives sont à la surface de la langue.
Ce sont les petits reliefs que nous observons bien devant le miroir. Là sont
situées les minuscules cellules qui réceptionnent les saveurs.
Les papilles ont différentes formes : filiformes (en forme de fil), les
plus nombreuses, fungiformes (ressemblant à des champignons) disséminées sur la
pointe de la langue, ou en forme de calice dites caliciformes. Ces dernières
sont les plus volumineuses, au nombre de 9 en forme de V ouvert dont
la pointe est dirigée vers l’arrière. Elles ne sont visibles qu’avec le petit
miroir du médecin collé au sommet du palais.
Leur présence en arrière de la bouche démontre bien l’importance de garder en
bouche les aliments ou boisson avant d’avaler afin d’en goûter tous les arômes.
Il y a en plus les papilles foliées (en forme de feuilles) ou coralliformes (en
forme de corole ou petites couronnes) présentes sur les bords latéraux de la
langue.
Des papilles gustatives sont aussi présentes à l’intérieur des joues, sur les
gencives, sur le voile du palais et même sur la luette. Toutes sont reliées à
des fins nerfs sensitifs et sensoriels.
Nous refaisons nos papilles linguales tous les 10 jours, cela veut
dire que nous devons sans cesse les stimuler, car chaque jour un
certain nombre finissent leur vie, tandis que d’autres naissent pour vivre et
nous servir une dizaine de jours. La perte progressive du goût (comme de
l’odorat) est un des premiers signes de ces deux maladies auto-immunes que sont
l’Alzheimer et le Parkinson.
Trente-deux
dents au total
Elles sont implantées en bas sur la mandibule mobile, en
haut sur le maxillaire (8 incisives, 4 canines, 8 prémolaires et
12 molaires). Elles ne servent pas que pour le sourire. Elles sont dédiées
à la mastication, à broyer les aliments, à les transformer de solide en pâteux
et même en liquide.
L’œsophage est un tuyau musculaire dont les parois sont accolées et qui
ne devrait recevoir que des aliments liquides ou pâteux.
Or trop souvent ce sont des morceaux de viande, de fruit, de pain qui
descendent dans l’œsophage. Ils ne peuvent qu’irriter la muqueuse œsophagienne
et la traumatiser de manière chronique, d’où les risques d’inflammation
(œsophagite) et même de cancer de l’œsophage à la longue ou de constitution de
diverticules chez les personnes très stressées.
Six
glandes salivaires majeures et des centaines accessoires
Trois de chaque côté, parotides, sous-maxillaires et
sublinguales, sont capables de fabriquer chaque jour 1 à 1,2 litre de salive,
autant que l’estomac (liquide gastrique), le foie (la bile) ou le pancréas
(liquide pancréatique).
Chaque glande salivaire déverse sa composition de salive dans le palais par
l’intermédiaire de petits canaux qui se terminent par de très petits orifices à
l’intérieur des joues et sous la langue. On peut voir en soulevant la langue,
la bouche bien éclairée, ces deux minuscules trous, à la sortie des glandes
sublinguales, par où sort la salive, en petits jets quand on appuie à plusieurs
reprises sous le menton.
Il existe aussi de petites glandes salivaires accessoires, microscopiques,
réparties dans la muqueuse des joues au nombre de 400 à 700 selon les
personnes. Soulignons que nous refaisons les cellules de la partie interne, la
muqueuse des joues, tous les 5 jours.
Les
nerfs crâniens
Trois paires de nerfs crâniens sur les douze sont chargées
de nous faire percevoir une immense combinaison de nuances de saveurs au-delà
des 5 classiques : le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami (mot
japonais qui veut dire “savoureux”). Toutes les parties de la langue sont
capables de percevoir ces 5 saveurs de base.
Les nerfs moteurs et sensitifs donnent à la langue à la fois sa mobilité et son
extraordinaire sensibilité, on peut même dire sensorialité.
La
digestion commence dans la bouche
C’est dans le Palais des saveurs que démarre la digestion,
grâce à la salive et à ses enzymes.
La salive joue un rôle très important pour imprégner les aliments broyés par
les dents, leur donner toutes leurs saveurs, liquéfier les éléments les plus
solides afin que, liquides ou pâteux, ils puissent descendre sans obstacle le
long de l’œsophage jusqu’à l’estomac.
La salive est constituée de minéraux (sodium, potassium, chlore), de petites
quantités de sucre et d’urée, des hormones (selon l’évolution du cycle
féminin). Elle régule le pH de notre bouche en neutralisant les premiers acides
des aliments.
C'est
grâce à la salive que nous avons le goût
La salive contient des enzymes qui révèlent le goût. A noter que les animaux
n’ont pas d’enzymes dans leur salive. Ils avalent très vite. Ne les imitons
pas !
Les enzymes salivaires ne peuvent jouer leurs rôles que si les aliments restent
suffisamment longtemps dans la bouche : l’amylase ou ptyaline (pour
prédigérer l’amidon), une maltase, le lysozyme capable de détruire des
bactéries (sorte d’antibiotique naturel qui secrète des anticorps –
immunoglobulines A – qui empêchent les pathogènes de s’installer dans la
cavité buccale), une lacto-peroxydase qui joue un rôle dans la défense
immunitaire locale et la lipase, surtout chez l’enfant, pour commencer à
digérer les lipides du lait maternel.
Le Dr Rainer Wild Stiftung cite cet exemple très parlant :
« Si on ferme les yeux et qu’on dépose un morceau de sucre de roche ou
de sel gemme sur sa langue, il est difficile de faire la distinction entre les
deux alors que la langue est sèche. Ce n’est qu’en humectant le morceau en
question avec la salive que les molécules de sel ou de sucre seront libérées et
que l’on pourra reconnaître le goût sucré ou salé, et ce, grâce à l’eau,
principal composant de la salive. »
La salive a aussi un rôle antiseptique de protection de toute
la longueur de l’œsophage. N’oublions pas que, sans nous en rendre compte, nous
déglutissons 1 500 à 2 000 fois par jour.
Ne pas prendre le temps de mastiquer les aliments, c’est ne pas savoir les
goûter. C’est perturber la digestion dès sa première phase et être sujet
ensuite à une mal-digestion dans l’estomac et au-delà. On comprend alors les si
fréquentes flatulences, ballonnements et autres perturbations tout au long du
tube digestif, jusqu’à la zone de sélection et de préparation des déchets dans
le côlon et le rectum.
Notre palais des saveurs, royaume gustatif, est évidemment en relation étroite
avec l’odorat. Chacun de nous a expérimenté l’eau qui monte à la bouche lorsque
nous percevons les odeurs d’un bon plat. En réalité, l’odeur ou les odeurs
déclenchent une plus ou moins forte salivation.
Bien à vous,
Professeur Henri Joyeux